l'étoile du soir. UC.

Sir Edward Henry de Rosbourg a écrit:

Londres, ce 20 novembre 1698.

Ma belle amie,

Je désespère de revenir un jour dans ma douce contrée qu’est l’Irlande ! Les affaires à Londres me retiennent à ce moment fort inopportun que notre famille traverse. J’ai ouï dire que enfantement touchait à sa fin. Je suis navré de vous avouer que je ne serais malheureusement pas de retour avant la période de Noël, ma très chère épouse. Mais ne pleurez pas, je promets de ramener les plus belles offrandes que ce monde puisse cacher à notre enfant. Il ne manquera de rien, je puis vous l’assurer. Je suis bien mécontent de ne pouvoir obtenir quelque congé pour vous assister, toutefois, mes pensées vous accompagneront. J’espère que vous vous portez bien, et que vous ne vous lassez pas de mon absence, ma tendre amie. Ce billet est court, madame, contrairement au précédent. C’est seulement en raison des dernières rumeurs qui couraient sur votre état, et sachez qu’elles font bien jaser ! Je préfère m’assurer par moi-même, étant votre mari, de votre bon état. Je crois que tous sont jaloux de votre beauté et de votre situation, alors ils compensent en venimeuses paroles à votre encontre.

Avec toute ma tendresse,
Votre époux.

Sans attendre, elle froissa le parchemin puis le jeta dans la cheminée. Les flammes se chargèrent de consumer entre leurs bûches la lettre écrite à la va-vite de son « cher époux ». Les petits noms qu’il glissait dans ses écrits la laissaient indifférente. Elle savait qu’il surnommait ses nombreuses maîtresses avec les mêmes, et que les affaires qui lui prenaient tant de temps avaient l’air fort agréable. Après tout, Mr. de Rosbourg était un homme très influent et considérablement riche, pourquoi avait-il besoin de se rendre dans l’imposante capitale anglaise le temps de quelques mois ? Un pincement au cœur, Margaret se retira dans ses appartements, avec pour seule présence celle du petit être qui grandissait à l’intérieur de son ventre. Elle sentait que ce serait pour très bientôt, elle espérait également que son volage de mari serait de retour, juste pour voir son héritier naître. Elle s’allongea plus ou moins difficilement sur la couche que côtoyait passagèrement Edward puis ferma les yeux, s’adonnant à de pâles beaux rêves, fausses promesses d’un avenir incertain. Mais pourquoi se nourrir de vaines utopies ? Une larme roula, solitaire, sur sa joue blanche.

Un petit matin de novembre, sept jours exactement après la missive de son mari, Margaret accoucha de leur enfant… une fille. Une misérable petite créature vouée à être vendue au plus offrant. Elle le savait déjà, en berçant tendrement son « petit ange », comme elle la nommait. Edward serait furieux d’apprendre que son héritier était une héritière, lui qui désirait ardemment un mâle pour faire perdurer le noble nom Rosbourg. Sa naïve épouse, elle, ne se préoccupait guère de ce détail, et profitait de l’absence de son mari pour s’occuper de sa petite princesse. Elle l’avait appelée Celeste. Elle serait la plus séraphique des créatures qui peuplaient l’Irlande. Margaret, peu après la naissance de sa fille, goûta aux jeux auxquels s’adonnait son mari, à savoir les aventures sans lendemain. Je ne cache pas que leur union ne soit qu’un arrangement, qu’aucun sentiment ne les liait sinon le mépris ou l’amitié, selon l’humeur de l’un et de l’autre. Edward était un beau jeune homme, âge de trente-deux ans à l’époque, riche à souhait et pourvu d’une certaine sagesse. Respecté mais montré du doigt en raison de son infidélité, il appartenait à une imposante famille de sorciers, tout comme sa femme. Margaret avait vingt-six ans, femme naïve et réservée, elle fut étiquetée « propriété privée » par son époux dès leur mariage. Elle était belle, pas au point de faire tomber les hommes comme des mouches, toutefois, elle était chanceuse de posséder des atouts rares, des cheveux roux, un teint pâle naturel que s’arrachaient les Dames de l’époque, et une toilette sophistiquée. Après ce petit détour autour de ces deux protagonistes secondaires, revenons à notre Celeste.

Son père revint à la période de Noël, comme il l’avait assuré à Margaret, et j’épargne la description de son courroux, qui ne fut que plus fort à la vue de sa progéniture. Une chose baveuse qui hurlait à tout bout de champ. Autant le dire, Edward de Rosbourg ne fut jamais l’exemple d’un père idéal. Ses maîtresses le retenaient chez elle, languissantes de désir, et sa femme passait le plus clair de son temps à inviter des hommes qui passaient dans ses draps après quelques verres. Celeste était gérée par des gouvernantes et elfes de maisons, oubliée par les adultes trop occupés pour lui octroyer de l’attention. Jeune fille esseulée et murée dans le silence, elle démontrait plusieurs talents fort développés, tel que le chant, la musique ou les études. Il y eut une époque, dans le monde de la magie, où une famille noble pouvait se permettre de ne pas envoyer leurs rejetons à Poudlard, la plus grande académie de magie. Les bonnes gens de condition modeste espéraient, tout au contraire, que leurs enfants seraient davantage heureux là-bas qu’au travail des champs. Quant à Celeste, ce fut sa mère et des professeurs de la Cour d’Angleterre qui vinrent lui apprendre les bases de la magie. Lorsque je dis « Cour Royale », c’est la stricte vérité. Que croyez-vous ? Il y avait son lot de sorciers, bien entendu, cachés derrière une quelconque couverture. De grands nobles furent pourvus d’une baguette magique, isolée dans le fourreau de l’épée. Mais passons, nous ne sommes pas là pour faire un cours d’histoire.

Les Rosbourg eurent, entre temps, quatre autres enfants mais un seul garçon, qui vint après Celeste. John Edward Peter II du nom, il portait déjà un lourd fardeau dès son premier cri. Suivirent Isabelle, Catherine et Elisabeth. Autant le dire, Edward n’en fut que plus malheureux… Il avait tenté par tous les moyens d’avoir des héritiers mâles et non pas des bâtards – bien qu’il en eût plusieurs. Pour un souci d’éducation, Celeste et Isabelle, brillant toutes deux de par leur joliesse et leur sagesse, furent envoyées à Poudlard, dans la maison de Rowena Serdaigle. Lorsque Celeste atteint l’âge de seize ans, ses parents la retirèrent de l’école dans le but de la marier. C’était surtout Edward qui fut à l’origine d’une telle décision. Contestée par sa femme, elle fut sujette à plusieurs disputes.

Margaret – « Nous ne manquons de rien, pourquoi l’embêter avec le mariage ? Celeste est tellement belle, en plus, nous n’aurons qu’à l’emmener à Londres dans les années à venir ! »
Edward – « Mon amie, avec toute la tendresse que j’éprouve pour vous, je ne peux que refuser un tel souhait. Voyez-vous, Celeste a le titre de Comtesse de Waterford, une beauté sans égale et une sagesse digne d’un précepteur royal. Elle ne coûtera pas cher. »
Margaret – « Ainsi, c’est cela ? Les vendre le moins cher au plus offrant ?! »

Il ne répondit pas. Il ne répondait jamais à cette éternelle remarque. Les filles, quant à elles, semblaient ne pas s’apercevoir des plans de leur paternel et passaient le plus clair du temps à épier les nouveaux voisins de la ville. Les Rosbourg habitaient Waterford, et comme vous l’avez appris plus haut, Celeste en était la comtesse étant donné que son père était un lointain cousin de la famille Royale. De plus, sa femme, Margaret, était la fille d’une Marquise. Waterford était habitué à recevoir des personnages bourgeois, ce qui poussait les filles de Rosbourg à glousser derrière leurs éventails en passant devant le petit nouveau du voisinage. Celeste, près de quelques semaines après son dix-septième anniversaire, fut fiancée puis mariée à Emmet Valmont, de cinq ans son aîné. Cette union ne fut aucunement bénéfique, que ce soit pour elle qui passait son temps à claquer la fortune de son mari que pour lui qui lui préférait ses maîtresses. Le couple ne fut jamais crédible, aux yeux de tous. Certes, en échange des caprices de la demoiselle, Emmet lui quémandait quelques nuits. Le comportement de la douce Celeste, si effacée et gentille, évolua brusquement ; elle prit goût aux aventures, à la liberté et au jeu. Ce qu’elle désirait, c’était être une femme libre. La fête, la fête et toujours la fête, elle ne vivait que pour cela ! Elle réclamait à son époux étoffes rares, dernières robes à la mode, le même éventail que telle ou telle princesse et ne se présentait que rarement dans son château. Ce qui lui porta préjudice…

Emmet – « Savez-vous l’heure qu’il est ? »
Celeste – « Par pitié, laissez moi en paix !